Au cours du dernier entretien donné avant sa mort, le sociologue libéral Ralf Dahrendorf provoqua la surprise en se démarquant de sa théorie la plus connue, celle d’une élite mondialisée — ou « classe globale », dans la terminologie anglo-saxonne — vouée à dominer la planète au mépris des frontières et des appartenances nationales. A la question de savoir si cette élite avait survécu à la crise financière de 2008, Dahrendorf répondit : « Elle se disperse beaucoup en ce moment. » Considérait-il cette dispersion comme une mise en échec de sa théorie ou comme un simple accident de parcours ? La suite de l’entretien ne le précise pas.
Pour nombre de chercheurs en sciences sociales, d’essayistes et de militants, l’existence de cette « classe globale » — tantôt louée, tantôt dénoncée — s’impose comme une évidence. Dès 1996, Jacques Attali rêvait d’une « révolution culturelle » susceptible de favoriser l’émergence d’une « surclasse européenne ». « L’acceptation du neuf comme une bonne nouvelle, de la précarité comme une valeur, de l’instabilité comme une urgence et du métissage comme une richesse » permettrait ainsi l’essor de « tribus de nomades sans cesse adaptables, libérant mille énergies et porteuses de solidarités originales ».
En 2008, David Rothkopf, directeur de la revue Foreign Policy, estimait le vœu d’Attali exaucé. Non pas à l’échelle européenne, mais planétaire : une « super-classe » supranationale, composée d’environ six mille individus, avait alors, selon lui, assis sa domination sur le monde. Ses lieux de prédilection ? Les grandes capitales, les grands hôtels et les grands rendez-vous du capitalisme international, au premier rang desquels le Forum économique mondial de Davos. Son livre s’ouvrait sur cette réflexion du Britannique Mark Malloch Brown, ancien vice-secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU) : « Quand on déambule dans les soirées de Davos, on se rend compte qu’on y connaît plus de gens que lorsqu’on se promène dans les parcs de nos villes respectives. »
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