martedì 28 aprile 2020

EPIDEMIE PANDEMIE E SOCIETA' FRANCESE. Jérôme Fourquet (Ifop) : « L’histoire nous a montré qu’il y a plus souvent une inertie qu’une rupture », LE BERRY REPUBLICAIN, 28 aprile 2020

Même confiné, le sondeur de l’Ifop ne perd pas une miette de cette période aussi passionnante à étudier qu’angoissante. Entretien avec le politologue Jérôme Fourquet, auteur de « L’Archipel français » (Seuil), sur cette France multiple et divisée.

Jérôme Fourquet, directeur du département « Opinion et stratégies d’entreprises » au sein de l’Institut de sondage Ifop, sonde la société française.


« Double mouvement »

« Suite à l’annonce présidentielle sur le 11 mai, on a noté dans nos enquêtes un double mouvement dans l’opinion. D’abord, spontanément, une réaction plutôt positive avec une sorte de soulagement psychologique car, enfin, on fixait un horizon de sortie. Puis, en l’espace d’un ou deux jours, une fois que cette date était posée, fatalement sont venues les questions du “comment”. Cela s’est focalisé dans un premier temps sur les modalités pratiques de la réouverture des écoles. Du soulagement, on est passé au questionnement, puis à l’inquiétude. D’autres questions très pratiques émergent sur les transports en commun, la reprise du travail, les masques… Tout remonte. Il a été relativement facile de faire s’arrêter la société, même si cela a des conséquences incalculables, mais maintenant, on est dans la perplexité du comment on redémarre ensemble. »

Beaucoup de questions sur cette rentrée "progressive". Photo AFP


L’angoisse économique


« Dès le début de la crise, on a vu monter chez certains publics les inquiétudes concernant l’impact du confinement sur l’activité économique. Puis, au fil des jours, cette angoisse économique et sociale est devenue de plus en plus aiguë, au vu de secteurs entiers sinistrés et des millions de salariés au chômage partiel. C’est du jamais vu. La capacité de résilience sera très variable selon qu’on a la chance de travailler dans un grand groupe ou dans une petite structure. Le mécontentement et l’inquiétude d’une partie de la population sont aussi alimentés par le décalage entre les discours généreux tenus au sommet de l’État (« on sera à vos côtés » ; « on a débloqué des milliards »…) et les remontées de terrain très nombreuses d’indépendants et de petits patrons à qui on a fait remplir des dossiers pour finalement leur dire qu’ils ne rentrent pas dans les cases. Des Français se disent que beaucoup de petites entreprises ne passeront pas le cap ».
Comment l'économie se relèvera-t-elle ? Photo AFP.


Des lignes de faille


« Il y a des lignes de clivage anciennes et des nouvelles qui sont créées par la spécificité de cette crise, entre ceux qui sont exposés et ceux qui télétravaillent par exemple… Ces lignes de faille peuvent courir au sein d’une même entreprise et ce sera un défi pour les managers et les ressources humaines de ressouder les troupes à la sortie. Tout le monde n’aura pas vécu, loin s’en faut, le confinement de la même manière ».


Une colère  et pas de sauveur ?


« Il y a dans une partie de la population un sentiment de colère vis-à-vis de l’exécutif qui aurait agi trop tardivement, ne dirait pas toute la vérité… Cette colère préexistait au confinement mais elle a été quelque peu renforcée sans qu’aucun acteur politique de l’opposition, de notre point de vue, n’en tire parti pour l’instant. La situation actuelle ne nous aide pas à y voir beaucoup plus clair. L’ancien mouvement de balancier entre la droite et la gauche est cassé. On a assez peu de lisibilité sur ce qui va se passer politiquement mais on peut faire l’hypothèse néanmoins qu’il n’y aura pas forcément de bouleversement électoral et politique consécutif au Covid. Avant lui, le paysage politique était déjà archipellisé. Il l’est autant en sortant… Et à mon avis, l’idée d’union nationale va accoucher d’une souris. »
Même si la nature de la crise était très différente, on se souvient en 2008/2009 avoir entendu que “rien ne sera plus avant, on va régler son compte au capitalisme financier, l’économie casino, c’est terminé” et puis… pas grand-chose

© EMMANUELLE MARCHADOUR


Ce ne sera jamais plus  comme avant ?


« Mon réflexe professionnel m’engage à me méfier de ce genre d’incantation, qui s’apparente un peu au wishful thinking, en mode “on diagnostique ce qu’on voudrait bien qu’il advienne”. L’histoire nous a montré à plusieurs reprises qu’il y a plus souvent une inertie qu’une rupture. Même si la nature de la crise était très différente, on se souvient en 2008/2009 avoir entendu que “rien ne sera plus avant, on va régler son compte au capitalisme financier, l’économie casino, c’est terminé” et puis… pas grand-chose. La société française ne va pas sortir plus solide et plus vertueuse.
Manifestants contre la spéculation financière à New-York en octobre 2008. Photo AFP

Même si ce ne sera pas le grand soir, cette crise peut toutefois accélérer des tendances comme l’engouement pour les produits bio et les circuits courts. Des Français qui avaient envie de changer de vie et de se mettre au vert sauteront peut-être le pas. On aura sans doute un recours accru au télétravail, aux “drive”… mais sans que les fondamentaux soient bousculés. La crise économique et sociale qui se profile va geler de manière mécanique et instantanée tous les débats philosophico-politiques sur ce que pourrait être une société meilleure, plus juste, plus durable, même si on peut le regretter. Ce sera le plan Orsec. Les grands soirs et les colloques citoyens seront remisés à beaucoup plus tard ».
Propos recueillis par Florence Chédotal

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