lunedì 2 marzo 2015

SOCIOLOGIA DELLA POLITICA. ISLAM E RADICALISMO. A. AREFI, Pourquoi de jeunes Français sombrent dans le djihad. Intervista con il sociologo F. Khosrokhavar, LE POINT, 19 gennaio 2015

Comment de jeunes Français nés dans l'Hexagone ont-ils pu mener les pires attentats dans le pays depuis un demi-siècle ? C'est à cette question que répond Radicalisation*
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, un ouvrage rare et pointu sur ce nouveau mal qui ronge la société française. Directeur d'études à l'EHESS et auteur en 2013 d'un rapport sur la radicalisation en prison pour le ministère de la Justice, le sociologue Farhad Khosrokhavar y livre une analyse sans tabou sur les raisons amenant des citoyens français à devenir terroristes.
Le Point.fr : Le parcours des frères Kouachi ne ressemble-t-il pas à s'y méprendre à celui de Mohammed Merah ?
Farhad Khosrokhavar : C'est exact. Leur parcours correspond au modèle classique du djihadisme enFrance : un jeune qui a habité en banlieue, qui a trempé dans la délinquance, qui a passé une période plus ou moins longue en prison, qui est issu d'une famille désunie où la violence a eu cours, et qui a fait ce que j'appelle le "voyage initiatique" : un séjour au Moyen-Orient fondamental dans le cas de Merah et des frères Kouachi, où ils se sont formés au maniement des armes, et où ils ont surtout assumé le statut du "héros djihadiste". Ces jeunes embrassent un islam radical qui n'est pas celui de leurs parents.


En quoi leur islam est-il différent de celui de leurs parents ?
L'islam de leurs parents était tout à fait ritualiste et n'a joué aucun rôle sur eux. Il ne prenait absolument pas en considération leur souci identitaire en tant que jeunes de banlieue. D'autant que ces jeunes ne savent souvent pas lire l'arabe ni le Coran. Ils n'ont aucune culture islamique et ne maîtrisent même pas les prières ! C'est pour cette raison d'ailleurs que ces jeunes sont tout d'abord totalement désislamisés. C'est ce vide religieux total que peut rapidement remplir l'islamisme radical. Ils deviennent en quelque sorte djihadistes par excès d'inculture.
L'autorité parentale a-t-elle fait défaut ? 
Majoritairement. Le père a été détrôné. Il parle un français de plus mauvaise qualité que le fils. Il n'a jamais été socialisé et demeure souvent illettré. La mère vit dans un autre monde. Ce sont souvent des familles monoparentales éclatées où il existe un vrai problème d'autorité et qui basculent dans la violence. Ainsi, les fils passent une grande partie du temps dans la rue la nuit, et trempent dans la délinquance. Vous savez, la socialisation par la famille traditionnelle maghrébine a subi une crise majeure du fait de son insertion dans la société française. De fait, ce sont souvent les enfants qui assurent, au sein de la famille, la liaison avec la société.
L'école de la République a-t-elle failli dans son rôle ? 
L'école possédait un rôle de socialisation tant qu'elle était majoritairement peuplée d'enfants français d'"origine gauloise", si je puis dire. Mais comment voulez-vous que la socialisation s'exerce sur ces jeunes lorsque, dans les établissements de banlieue, 95 % des enfants sont d'origine immigrée ?
À quel moment précis ces jeunes se radicalisent-ils ?
Totalement désislamisés, ces jeunes s'inscrivent alors dans un phénomène de déviance. Ils volent, trafiquent de la drogue, consomment de l'alcool et vont en boîte de nuit : soit tout ce qui est interdit par l'islam. On l'a notamment vu avec Mohammed Merah. Or, constatant par eux-mêmes qu'ils sombrent de plus en plus et que leur vie n'a plus aucun sens, ils font alors la connaissance d'un personnage charismatique qui va les faire renaître.
En prison ?
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En prison, oui, mais aussi à l'extérieur, comme sur Internet, ou par le biais d'amis. Pas à la mosquée, qui n'est plus le lieu de socialisation islamiste radicale, d'autant qu'elles sont désormais plus ou moins sous surveillance. Arrive alors ce que j'appelle le "Born again" : une sorte d'éveil total. Les jeunes basculent tout à coup dans une forme d'islam radical. On le constate clairement pour Amedy Coulibaly, qui posait en compagnie de sa compagne Hayat Boumeddiene en maillot de bain et en bikini sur la plage à peine un an avant sa radicalisation totale ! Il s'agit d'une sorte de rupture existentielle afin de retrouver son identité. Souvent jugés et condamnés par le passé, ces jeunes s'érigent, par le biais de l'islam radical, en juges de la société qu'ils condamnent à mort.
La même société qui les a vus naître ? 
Ils avaient le sentiment que la société les méprisait. Ils étaient dans une situation d'impuissance totale, de sentiment d'abandon, et de désintégration de leur identité. Tout à coup, ils se considèrent comme des représentants de Dieu sur terre. Par l'islam radical, ils sentent désormais que la société les craint et les prend au sérieux. Et ils la punissent, de manière extrêmement brutale, en déshumanisant les autres et en tuant sans aucun remords. 
Comment expliquer le calme apparent des auteurs des tueries de Paris ? 
Recouvrer une identité de djihadiste provoque un sentiment de sérénité. Ils pensent qu'ils ont leur place au paradis, qu'ils sont les élus de Dieu. Pour eux, le fait d'être un martyr est le summum de leur carrière. Voilà pourquoi ces djihadistes n'ont pas peur de mourir et qu'ils font même tout pour. Il s'agit pour eux d'une histoire sacrée qu'ils réécrivent eux-mêmes. Ils ont même le sentiment d'être des acteurs de l'histoire. 
Cette détestation de la société ne répond-elle pas à une certaine forme de racisme ?
C'est à mon sens beaucoup plus compliqué que cela. Je parlerais davantage de victimisation. Ces jeunes sont persuadés que toutes les portes leur sont fermées et que la société leur en veut, ce qui est faux. Sociologiquement, on constate bien qu'un certain nombre de jeunes de banlieue réussissent. Ils sont donc dans un univers mental où ils accentuent artificiellement tous les travers sociaux. Lors d'un entretien, un jeune m'a déclaré : "Nous sommes des insectes dans cette société. Nous n'avons aucune identité, aucune dignité, aucun avenir." Qu'il y ait du racisme, oui. Qu'il y ait de l'islamophobie, oui. Mais il est faux de dire que toutes les portes sont fermées. 
Nombre de musulmans français ayant réussi évoquent pourtant une stigmatisation...
C'est vrai, mais, comme ils réussissent, ils acceptent quelque part cette stigmatisation comme étant liée à leur histoire individuelle. Il existe chez eux de la frustration et de l'amertume, mais ils ne basculent pas pour autant dans cette violence absolue.
Le discours selon lequel les auteurs des attentats de Paris ne sont pas de vrais musulmans est-il valable ? 
Cela est une interprétation qui vise à se distancier d'individus dont on désapprouve la violence. Mais celle-ci existe pourtant dans tous les livres sacrés, y compris la Bible. Le Coran comporte des parties très violentes, et d'autres beaucoup plus douces. Or, les djihadistes en font une lecture sélective en ne prenant que la violence et en ignorant le reste. Il existe des fondamentalistes dans toutes les religions. Mais pour des raisons spécifiques, la violence religieuse s'exprime notamment aujourd'hui au nom d'une vision extrémiste de l'islam.
Quel est le poids de ces djihadistes en France ? 
Il s'agit d'une infime minorité. Mais il suffit qu'il y en ait deux ou trois pour que cela exerce une influence énorme sur la société. Tout le problème du djihadisme est que quelques individus peuvent créer un émoi collectif qui ne se mesure pas en nombre de victimes mais à la monstruosité de l'acte et à son intentionnalité. Ainsi, du jour au lendemain, les djihadistes ont l'impression de devenir des stars, ce que j'appelle dans mon ouvrage des "héros négatifs".
Des stars auprès de qui ?
Les médias. Regardez, qui connaissait Amedy Coulibaly avant la semaine dernière ? Qui ne le connaît pas aujourd'hui ?
Mais il est mort 
Amedy Coulibaly savait bien, avant de mourir, qu'il deviendrait une star, même pendant une période très éphémère. Il en va de même pour Mohammed Merah, et c'est justement la raison pour laquelle il a filmé ses actes. Ces jeunes savaient que les caméras du monde entier seraient braquées sur eux. Leur acte est indissociable de sa transmission par les médias. La couverture de l'acte est même partie intégrante de l'acte. Ils ne font d'ailleurs pas cela simplement pour leur conscience mais pour être vus de tous. Ils font tout pour être vus. 
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Radicalisation de Farhad Khosrokhavar est paru en décembre 2014 aux éditions de la Maison des sciences de l'homme.

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